L'abbatiale sainte Foy

Les vitraux réalisés par Pierre Soulages



En 1987, Pierre Soulages, peintre abstrait français de notoriété internationale, né en 1919 à Rodez, dont les souvenirs d'enfance ont été imprégnés par ce lieu, commence à travailler avec enthousiasme sur le projet de création des vitraux de l'église Sainte-Foy de Conques. C'est en 1994, qu'il achève la réalisation de 95 verrières et de 9 meurtrières visibles de l'intérieur comme de l'extérieur qui respectent, tout en la magnifiant, l'austérité romane et ses symboles et invitent la lumière à pénétrer dans l'église.
A partir d'un matériau opalescent, l'artiste a trouvé un signe plastique singulier et authentique retenant à la fois le monde sensoriel comme émotion et le monde spirituel comme révélation finale.



Un livre sur les vitraux

"CONQUES - LES VITRAUX DE PIERRE SOULAGES" aux Editions du Seuil - Paris

L'évidence est le fruit d'un long cheminement que Georges Duby, Christian Heck, Jean-Dominique Fleury, maître-verrier et Pierre Soulages lui-même, retracent tout au long de ces pages ponctuées par les belles photographies de Vincent Cunillère. Un cheminement qui, suivant l'expression commune et non la pratique courante, consiste à "partir de l'édifice pour revenir à l'édifice" . De l'église abbatiale de Conques, Pierre Soulages a certes une connaissance intime. Elle est le lieu d'une de ses premières émotions esthétiques : c'est en effet devant elle, qu'enfant, il a fait le choix définitif de consacrer sa vie à l'art. Mais lorsqu'il répond à la commande publique de vitraux pour cette abbatiale, Soulages met délibérément en retrait "l'affectivité liée aux souvenirs d'enfance" pour fonder sa recherche sur "une analyse objective de l'architecture" , analyse dont Georges Duby souligne à bon escient la pertinence.

Si à Conques, les fenêtres sont nombreuses - on en compte 104 pour un édifice de 56 mètres de long seulement - c'est qu'il convient que l'espace intérieur soit "imprégné de lumière" car il est, selon l'expression du médiéviste "l'image de la Cité céleste (...) illuminée par la gloire de Dieu" . C'est la lumière émanant des baies qui, évoluant avec la course du soleil, rythme cet espace et l'écoulement des heures et des saisons, faisant de la basilique "une vaste machine à emprisonner le temps" .
Quant à la bigarrure éventuelle des vitraux d'origine - que laisse supposer le goût des moines de Conques pour la rutilance des gemmes - rien ne la justifie plus aujourd'hui que les murs de l'édifice sont nus, dépouillés de toute fresque ou tenture. Et c'est précisément "dans la nudité de ses lignes, de ses plans, de ses pierres" , note Georges Duby, "que cette architecture nous touche" . Loin de tout Moyen-Age reconstitué, le projet de Soulages était de servir cette architecture "telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous" et de la donner à voir. Pour ce faire, il s'agissait de faire pénêtrer à l'intérieur de l'édifice la seule lumière apte à révéler les contrastes subtils de la pierre - c'est-à-dire la lumière naturelle - tout en protégeant ce lieu de méditation et de contemplation de toute vue "de" ou "sur" l'extérieur.

Ses recherches conduisent Soulages à imaginer un nouveau produit verrier dont il nous décrit dans ses "notes de travail" les étapes de réalisation. La matière créée est constituée de grains de verre très blancs répartis de façon non homogène. Dans la masse du verre même, la lumière naturelle subit des modulations : elle se réfléchit d'autant plus que les cristallisations internes au verre sont denses, écrit-il ; la lumière apparaît alors à l'extérieur de l'édifice avec sa couleur naturelle bleutée tandis qu'à l'intérieur, dans ces mêmes zones, les tons chauds dominent. Les vitraux émettent ainsi une lumière vivante qui possède une intériorité en accord avec l'identité et la fonction du lieu.
L'impression de vie, comme le remarque Christian Heck, est renforcée par le dessin même des vitraux, par la souplesse de ces lignes qui ne redoublent jamais celles de l'architecture mais accompagnent la modulation de la lumière sur toute l'étendue des baies. L'évidence résulte ainsi de la "vérité de la matière" et du "très profond accord de la forme et de la fonction" . Secrète évidence que nous révèlent les textes et les photographies de cet ouvrage qui incitera plus d'un lecteur à prendre le temps d'admirer par lui-même, tout au long des jours et des saisons, l'architecture exceptionnelle de l'abbatiale de Conques magnifiée par la lumière de Soulages.




Textes de Xavier KAWA-TOPOR
Centre européen d'art et de civilisation médiévale
Photographies de Joel FUALDES